Sheep le Miraculé
Je m’appelle Sheep, je suis un Border Collie Bleu Merle de 6 ans et je travaille tous les jours avec mon maître le berger du Mont-Ceint. Ah, cette montagne, je la connais comme ma poche, car je guide et rassemble les 1100 brebis de l’estive. Tous les jours ou presque nous allons rechercher les brebis jusqu’au sommet du Mont Ceint à 2088 m. d’altitude. C’est un beau sommet calcaire qui domine cette estive à la fois magique et difficile. Je suis agile et rapide, un brin insouciant, en pleine force de l’âge et à l’écoute permanente de mon maître. On n’a pas chômé depuis Juin, septembre est arrivé et aujourd’hui c’est notre dernier jour. Nous allons quitter notre petite cabane car le troupeau doit repartir dans la vallée. En fin de journée, nous redescendons la crête vers le port de Saleix. Philippe mon maître me demande de récupérer des brebis qui essayent de remonter vers le sommet. Le troupeau est là, devant moi, sur le côté opposé du cirque calcaire. Je m’élance dans la pente herbeuse de gispet et de genévriers...Je vole au-dessus de cette herbe douce et soyeuse, je saute un genévrier...C’est quoi ce trou noir ? Aie, Aieeee, je n’arrive pas à bondir assez loin...Je m’accroche à la paroi, ça glisse, puis c’est la chute : douloureuse, interminable, ..., je suis où : au Paradis des chiens, dans la tanière de l’ours ? Je suis groggy, j’ai mal, il fait bien noir ici. Il est où mon maître ? Il m’appelle ? Vite ! J’aboie pour lui répondre, il va venir me chercher...Je le vois tout là-haut : qu’il est loin...Il m’appelle ! Son maître ne peut pas descendre dans ce gouffre : le puits est profond de18 m.. Quoi faire si loin du tout en pleine montagne ? Miracle : il a un peu de réseau pour téléphoner sur cette crête. Il faut faire vite. Il décide d’appeler le peloton de gendarmerie de Haute-Montagne (PGHM). Le cycle d’alerte s’enclenche alors : le PGHM prévient le Spéléo-Secours Français par l’intermédiaire des conseillers techniques de l’Ariège. Le soir nous faisons des recherches dans nos bases de données qui répertorient les cavités, mais rien ne correspond aux descriptions du Berger. Il est décidé de rejoindre le berger au col de Saleix le lendemain matin pour qu’il nous guide jusqu’au gouffre inconnu. Hélas la météo se couvre, des nuages lenticulaires menaçants se forment. Compte tenu de la probabilité d’orages violents annoncés par Méteo France sur le secteur, la mission est reportée au lendemain matin...Orage et pluie forte toute la nuit en montagne. Sheep ne doit pas être rassuré... Jour J enfin : le berger est au rendez-vous au parking de Coumebière. La météo est clémente, les brumes matinales s’étiolent et le soleil nous réchauffe pour cette belle montée. Nous sommes bien chargés avec nos 80 m. de cordes, notre matériel de spéléo verticale, des amarrages et un perforateur pour fixer les chevilles. Nous portons aussi du matériel de secours pour le chien : attelle, bande, harnais de traction, sangles et aussi de l’eau et des croquettes. Nous rejoignons le col en moins d’une heure et après 20 minutes de plus, nous sommes enfin à l’entrée du gouffre. Philippe le berger se penche et appelle son chien : « Sheep, Sheep » Rien ! Il ne répond pas, l’angoisse s’installe. Gérard rassure Philippe. Le chien est peut-être endormi... Dans mon rêve je m’imagine voler au-dessus des brebis. Je suis agile comme un chocard et m’envole loin des ténèbres... Mais... On m’appelle ? On se penche à nouveau et on entend Sheep couiner. Ouf il est en vie ! Nous installons des points d’ancrages pour fixer la corde. Il faudra faire attention à la descente pour ne pas envoyer de pierres qui pourraient blesser Sheep... Gérard descend délicatement sur la corde et rejoint Sheep qui lui fait la fête. Il le sécurise au moyen d’une longe au cas où il serait sur un palier au sommet d’un autre puits. Je descends à mon tour, le fond n’est pas large. On ausculte le chien : il n’est pas blessé. Il n’a rien ! Juste un petit hématome au-dessus du sourcil gauche. Je lui donne à boire dans la gamelle plastique pliable. Il a très soif ! 48 h sans boire, ni manger ! C’est long, même pour un rude berger des montagnes. Je sors les croquettes qu’il avale goulument dans ma main. Ça va : il n’a pas perdu l’appétit ! On lui ajuste le harnais, puis étape délicate : on glisse Sheep dans le grand sac spéléo en bâche Hypalon très résistante. Il n’est jamais rentré dans un sac à dos ! Il ne comprend pas ce qu’on fait, il couine un peu, ..., puis se calme grâce à la phrase magique : « Sheep, pas bouger !» Ils sont sympas mes nouveaux amis, mais pas cool de me saucissonner dans ce sac ! Gérard installe ses bloqueurs sur la corde, le sac accroché en bout de longe sous lui comme l’on fait toujours pour remonter nos kits de matériel. Sheep n’est pas rassuré, sa tête sort du sac. Je ferme le rabat pour qu’il ne se blesse pas. Il peut quand même nous voir. Gérard s’élève lentement, je guide le sac. Sheep couine un peu, puis se calme. Il comprend qu’il va rejoindre le jour. La surface approche, Sheep entend son maître...Il pleure et voudrait s’extraire de ce sac : « Pas bouger Sheep ! » Suzanne aide Gérard au niveau de la déviation en haut de la verticale de 18m. Avec une autre corde elle mousquetonne le sac et Sheep regagne enfin le plancher des vaches et des brebis. Il fait la fête à son maître. Les retrouvailles sont émouvantes. On se déséquipe, et on range le matériel. On en profite pour se restaurer un peu. Sheep a droit à un bout de jambon. Bien mérité après avoir passé 48 heures dans ce gouffre froid et inhospitalier... Philippe nous remercie, il a enfin retrouvé son fidèle compagnon de cœur et de travail. En rentrant, il va amener Sheep chez le vétérinaire pour faire un bilan. L’histoire se finit bien, Sheep est un vrai miraculé car une chute de cette profondeur ne pardonne pas toujours. Le plan de secours ne prévoit pas le sauvetage des animaux. Nous sommes intervenus non pas en tant que membres bénévoles du Spéléo Secours Français réquisitionnés par le Préfet, mais en qualité de sauveteurs spéléologues volontaires. On a tous été sollicités un jour dans notre vie de spéléologue pour aller sauver une brebis, un chien de chasse ou même une vache tombée dans un puits... Sur le chemin du retour, nous trouvons un gouffre vierge. Petite entrée jamais explorée... Une belle verticale de 20 m. Ça résonne en dessous... une salle ? Le Graal pour des spéléologues ! La découverte et l’exploration de nouveaux gouffres : on connait ! On prospecte les massifs calcaires depuis des dizaines d’années. De nombreux gouffres ont été explorés pour la connaissance du chemin de l’eau et des rivières profondes. Un autre Monde à découvrir sous nos pas. Nous reviendrons dans le cirque oublié... L’aventure ne fait que commencer...
Merci à Suzanne, Gérard, Philippe le berger,
nos Conseillers Techniques Secours pour la gestion du sauvetage.
Merci Sheep pour ta sagesse.
Philippe Jarlan
|
Le Spéléo Secours de l'Ariège est une commission du Comité Départemental de Spéléologie de l'Ariège. La Fédération Française de Spéléologie est conventionnée avec le Ministère de
l'Intérieur pour réaliser les secours à personne en milieu souterrain (grottes, gouffres, siphons, mines et carrières désaffectées) dans le cadre d'un agrément "Sécurité Civile". Dans la pratique, sous l'autorité du Préfet de l'Ariège, ce sont les bénévoles de la Fédération Spéléo qui constituent les équipes du Spéléo-Secours de l'Ariège et interviennent sous terre. Un secours souterrain ne se limite pas à la partie souterraine et différentes équipes issues de différents corps collaborent pour organiser ces opérations dont la logistique peut être complexe : sapeurs-pompiers, gendarmes, SAMU, etc.
Le secours à animaux n'est pas couvert par les différentes conventions et le Spéléo Secours de l'Ariège intervient parfois en tant que commission du CDS09, mais non pas dans le cadre d'une opération de Sécurité Civile.
|